Or, l'analyse des parties de tels joueurs présentent la plupart du temps deux types de fautes qui n'ont rien à voir avec les ouvertures proprement dites. Premièrement, on s'aperçoit qu'il y a, par exemple, violation systématique et répétée des principes de base des ouvertures : le centre est négligé, la même pièce est "promenée" à travers l'échiquier, le roi ne roque pas quand il est temps de le faire, etc. ; deuxièmement, au début de la partie avec tout le matériel sur l'échiquier la situation n'en est que plus complexe et l'on voit certains joueurs faire des bourdes à répétition : perte de pièce ou de plusieurs pions. Comme cela arrive dans la phase initiale de jeu on met cela au crédit de l'ouverture alors qu'il s'agit le plus souvent d'un problème de vision tactique.
Il existe dans la littérature échiquéenne peu de pièges d'ouverture vraiment profonds. Nous allons en voir un connu sous le nom de "Piège de Dresde" ou "Piège de Tarrasch". Siegbert Tarrasch (1862-1934) fut un des tout meilleurs joueurs du monde de la fin du XIXème siècle. Exerçant la médecine dans un cabinet de Nüremberg, il était amateur et dût quelquefois décliner des invitations à des tournois à cause de son activité professionnelle. Il a beaucoup écrit sur les échecs mettant à la portée de tous les théories de Steinitz qu'il a "formatées et affinées". Seul son "Traité Pratique du Jeu d'Échecs" a été traduit en français. Georg Marco (1863-1923) était un journaliste autrichien président de l'Association Internationale des Maîtres, ancêtre de la FIDE. Voyons la partie :
Novembre 2015 : Tarrasch Siegbert - Marco Georg (1-0), DSB-07.Kongress Dresde, 1892
Une partie que j'ai aim� (ChessBase 12)
[Event "DSB-07.Kongress Dresde"]
[Site "Nuremburg"]
[Date "1892.07.18"]
[Round "?"]
[White "Tarrasch Siegbert"]
[Black "Marco Georg"]
[Result "1-0"]
[ECO "C66"]
[PlyCount "35"]
[EventDate "1892.??.??"]
1. e4 e5 2. Nf3 Nc6 3. Bb5
d6 {La défense Steinitz de la partie Espagnole qui faisait l'objet d'une
discussion théorique à l'époque. On retrouve le même squelette de pions que
dans la défense Philidor : les Noirs obtiennent une position solide mais resserrée
et peuvent facilement se faire étouffer.} 4. d4 {On a obtenu la structure
typique dans les deux ouvertures sus-mentionnées. Les Blancs du fait de l'avantage
du trait occupent idéalement leurs deux cases centrales e4 et d4, les Noirs e5 et
d6 avec donc un peu moins d'espace. Le but des Blancs est d'essayer de forcer les
Noirs à jouer e5xd4 afin d'augmenter leur avantage d'espace et leur contrôle du
centre. Les Noirs à l'inverse vont tenter de faire jouer aux Blancs d4xe5 afin
d'obtenir une position de pions symétrique gage d'égalisation proche.} Bd7 5.
Nc3 Nf6 6. O-O Be7 7. Re1 O-O $2 {Quoi de plus naturel à ce stade de la partie
que de mettre son Roi en sécurité ? C'est pourtant le coup perdant et les Noirs
rentrent dans un engrenage foréé qui se terminera par l'abandon.} ({Il revient
à Tarrasch d'avoir démontré que le meilleur et seul coup est dans cette
position est :} 7... exd4 8. Nxd4 {Les Blancs ont atteint leur but mais la partie
est à jouer.}) 8. Bxc6 Bxc6 {Forcé.} (8... bxc6 9. dxe5 dxe5 10. Nxe5 $18) 9.
dxe5 dxe5 10. Qxd8 Raxd8 ({Si :} 10... Rfxd8 11. Nxe5 Bxe4 12. Nxe4 Nxe4 13.
Nd3 f5 14. f3 Bc5+ 15. Kf1 $1 Rxd3 {Seul coup pour ne pas perdre une pièce.}
16. cxd3 $18) 11. Nxe5 Bxe4 12. Nxe4 Nxe4 {Diagramme [#]} 13. Nd3 {[%csl Ye4]
[%cal Re1e4] Ferme la colonne d et menace la prise du Cavalier.} (13. Rxe4 $4 Rd1+ 14.
Re1 Rxe1#) 13... f5 14. f3 Bc5+ 15. Nxc5 Nxc5 16. Bg5 {[%csl Yd8][%cal Rg5d8]}
Rd5 {Protégeant le Cc5 en prévision de Fe7.} (16... Rd7 17. Be7 $18 {[%csl Yc5,
Yf8][%cal Re7c5,Re7f8]}) (16... Rde8 17. Be7 $18 {[%csl Yc5,Yf8][%cal Re7f8,
Re7c5]}) 17. Be7 $1 {[%csl Yc5,Yf8][%cal Re7c5,Re7f8]} (17. c4 $2 {
immédiatement aurait perdu l'avantage gagnant à cause de :} Rd7 18. Be7 Nd3 19.
Rad1 Re8 $11) 17... Re8 (17... Rf7 {est équivalent.}) 18. c4 $1 {Si la Tour
s'éloigne le Cavalier est perdu : pour ne pas perdre une pièce nette les Noirs doivent
sacrifier la qualité. Ils préfèrent abandonner ce qui est tout à fait justifié
face à leur adversaire qui était un des tous meilleurs joueurs du monde. Cette
partie lente qui a duré 5 minutes (!) pour le Docteur Tarrasch est néammoins une
contribution importante à la théorie de la partie Espagnole. La notion de
fair-play et de sportivité n'avaient pas le même sens à l'époque
qu'aujourd'hui : on ne gardait pas pour soi ses analyses ?! Un détail amusant
(sauf pour Marco) : le tournoi fut joué au mois de juillet et Tarrasch
avait publié dans la revue "Schachzeitung" de fèvrier de la même année tous
les coups qui ont été joués dans la partie !} 1-0
Les joueurs de club débutants, voire plus que débutants confirmés, partagent avec un ensemble touchant une idée récurrente bien que totalement erronée. C'est la suivante : ils attribuent le fait de ne pas être situés plus haut dans l'échelle Elo à ce qu'ils pensent être une méconnaissance ou une ignorance de leur part de la théorie des ouvertures...?! Peu leur en chaut que des entraineurs, des joueurs titrés MI ou GMI de renom claironnent aux quatre vents du web que l'étude approfondie des ouvertures ne devient profitable qu'à partir de 2200-2300 Elo, autant dire pour une fraction infinitésimale de la population échiquéenne, ils demeurent sourds aux recommandations ; bloquant ainsi leur progression en gaspillant un précieux temps d'étude sur des sujets qui ne leur seront d'aucune utilité pratique.
Ainsi il n'est pas rare de rencontrer un joueur ne voyant pas un gain ou une perte tactique sur deux coups s'adonner à l'étude intensive de la dernière monographie sur UNE variante pointue du Dragon ou de l'Espagnole, de préférence en apprenant par cœur des lignes de jeu dont il ne comprend pas les idées, la logique et l'enchaînement ; mais peu importe : Anand, Topalov ou consorts jouent ça donc ça doit être bon ?! C'est à peu près comme si l'on mettait entre les mains d'un élève de 6ème un ouvrage de niveau Mathématiques Spéciales.
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